Seul skipper à avoir terminé quatre Vendée Globe consécutifs, marathonien de la course avec dix-neuf passages de l’équateur et tout à son bonheur d’être au large, Arnaud Boissières s’apprête à prendre le départ de sa quatrième Route du Rhum. L’histoire ne s’arrêtera pas là car son partenaire La Mie Câline sera présent jusqu’en 2025. Bruits de Ponton a pu longuement échanger avec Cali -son surnom de toujours-, heureux de son parcours. Morceaux choisis.
Le projet, l’engagement
Bruits de ponton : Comment s’est construit le projet La Mie Câline?
Arnaud Boisssières : «La rencontre avec La Mie Câline est liée à mon ancien partenaire Akena Veranda. A l’époque j’avais monté une société et parmi mes actionnaires figurait le meilleur ami de Rémi Bartau fondateur de La Mie Câline. Akena arrête, cellule de crise : j’ai appelé Rémi, il m’a dit non, j’ai rappelé un an après : il m’a dit non.
J’avais racheté un IMOCA, l‘ancien Virbac Paprec 2 de Jean-Pierre Dick avec plein de petits partenaires. Je ramène le bateau de Barcelone, on passe en chantier et je rappelle La Mie Câline. Je prends rendez-vous avec le neveu du Directeur Général qui avait acheté la licence Vendée Globe pour vendre des fèves en formes de bateau. J’avais préparé une décoration du bateau avec 80% de l’affichage pour 40 % du financement et je lui explique mon modèle économique avec plein de petits budgets. Au départ La Mie Câline recherchait seulement quelques journées de promotion. Il repart avec deux feuilles A4, l’une pour la décoration, l’autre pour le budget et j’ai l’accord quelques jours plus tard. C’était totalement étonnant, inattendu et je ne savais plus quoi dire. La surprise a ensuite été faite à l’ensemble des salariés lorsque je leur ai été présenté.
Et voilà comment s’est fait mon entrée dans la famille, au départ uniquement pour le Vendée Globe 2016 / 2017. Nous avons renouvelé rapidement pour quatre ans jusqu’en 2021 et aujourd’hui j’ai de la visibilité jusqu’à la Transat Jacques Vabre 2025. C’est un énorme confort pour moi et l’équipe. Bien sûr nous n’avons pas les mêmes moyens que Corum, Charal ou Banque Populaire mais nous avons un beau bateau.»
Bruits de ponton : Qu’est-ce que cela rapporte à La Mie Câline?
Arnaud Boissières : « Après le Vendée Globe mon partenaire a gagné cinq points de notoriété dont trois directement liés au projet voile. La Mie Câline est basée à St Jean de Mont mais son rayonnement est national avec 200 salariés et 230 points de ventes. La priorité portait sur l’interne, tous les salariés sont venus en famille lors de l’ouverture du village de la Vendée Arctique pour visiter le bateau. Au quotidien il est également important de voir les franchisés. Certains sont venus de Lyon, Limoges, nous sommes également allés vers eux cet été à Port Camargue et nous serons au Havre l’an prochain.
Le marin, son environnement
Bruits de ponton : « Tu as la chance d’avoir de la visibilité sur le long terme, qu’as-tu envie de dire à ceux qui sont en recherche de partenaire ?
Arnaud Boissières : «Le tissu de sponsors potentiels en Vendée est important, je dis toujours aux skippers de venir s’installer aux Sables d’Olonne et d’essayer d’être propriétaire de leur bateau. Quand le sponsor principal est le propriétaire, il tient le projet et c’est lui qui va chercher des composants partenaires autour du projet. Le skipper ne porte plus cette dimension entrepreneuriale.»
Bruits de ponton : Beaucoup d’ingénieurs de formation passent par la Mini, présentent bien, arrivent avec un PowerPoint, cochent toutes les cases et parfois se vendent d’abord avant d’être marin. Quel regard portes-tu sur cette évolution, comment gères-tu ta notoriété ?
Arnaud Boisssières : « J’estime ne pas être connu comme Jean le Cam, je n’ai pas de Community manager. Après les réseaux sociaux sont incontournables : un photographe amateur à qui tu interdis l’accès à un minimum de chose, le lendemain il te fait un mauvais papier. Je ne suis pas organisateur de course mais même dans mon projet je fais très attention comment je réponds à quiconque. En deux phrases il est possible de nuire. Après ce qui me choque le plus c’est le gars qui arrive sur la Mini Transat avec sa voiture floquée avant d’avoir le bateau.
De mon temps nous accordions plus d’attention à la préparation du bateau quitte à dormir dans la R9 de mon grand-père. Cela n’est pas nécessairement une critique, la vie est comme cela aussi. L’apparence est très importante maintenant. Avant la Mini je ne prenais pas une photo embarquée.
Aujourd’hui il n’y a pas un skipper de mini qui ne fait pas son film et cela fonctionne : ils sont 90 aujourd’hui. Personnellement j’aimerais écrire un livre. Le livre est important pour la notoriété du skippeur du projet même s’il ne rapporte rien.»
Bruits de ponton : Es-tu plus marin ou entrepreneur?
Arnaud Boissières : « Aujourd’hui l’entrepreneuriat me prend beaucoup de temps par rapport au sportif et cela me passionne de plus en plus. Je trouve excitant d’aller voir un chef d’entreprise pour lui demander de venir me sponsoriser, moi qui n’ai pas fait une école de commerce. A la fin de l’histoire, je peux décider de vendre le bateau ou de continuer sur la Route du Rhum 2026 avec mon équipe de 5 personnes.
En fait après un dernier Vendée Globe, je serais très attiré pour piloter un jeune en double sur la Jacques Vabre 2025, passer la main en 2026 et ensuite reconstruire un bateau pour moi. Faire le tour du monde à l’envers m’attirerait, monter un projet Ocean Race m’aurait plu si le timing avait été différent.»
Bruits de ponton : Au bout de combien de temps à terre est-ce que cela te démange de retourner en mer ?
Arnaud Boissières : «Immédiatement! Je suis d’abord heureux d’être en mer et ensuite je suis un compétiteur. Pendant mes vacances je suis sur l’eau, j’adore être en mer!»
La saison, l’actualité
Bruits de ponton : Cette saison a été marquée par des polémiques, sur les foils puis avec la question de la conformité de l’Ultim de François Gabart pour cette Route du Rhum. Quelle est ta position ? Est-ce que la réglementation IMOCA met la classe à l’abri d’un problème similaire ?
Arnaud Boissières : « Je vais être très bref : je laisse ce qui concerne la classe Ultim à la classe Ultim. Et si des questions se posaient en IMOCA, elles seraient discutées en interne. Sur la polémique des grands foils, je dis juste qu’il ne faut pas être mauvais joueur dans la vie. J’en profite pour dire aussi que je suis contre les classements de bateaux à dérives droites.
L’avenir c’est le foil! Certaines dérives droites sont des vrais dérives et d’autres sont des plans porteurs. Et même si je suis derrière un bateau à dérives, je préfère voler avec mon bateau qui n’a pas été construit autour des foils.»
Bruits de ponton : Peux-tu revenir sur ton abandon lors de la Vendée Arctique ?
Arnaud Boissière : « Mon abandon lors de la Vendée Arctique a eu un impact à deux niveaux : au niveau technique et au niveau psychologique. J’avais un peu la réputation de finir toutes mes courses mais je ne fais pas les courses uniquement pour les finir, mais pour bien les finir. J’ai jugé que ce n’était pas sérieux de finir cette course, même à quelques milles de l’arrivée.
Cet abandon était aussi une manière de me mettre une claque pour me rebooster, me remettre en question et aujourd’hui j’ai l’impression que cela m’a fait du bien et à mon Team aussi pour repartir un peu à zéro, pour la préparation de la Route du Rhum, un peu plus sereinement, en remettant tout à niveau.»
Bruits de ponton : Quel bilan tires-tu de ta saison avant la Route du Rhum et quelle est ton ambition pour cette course ? Qu’est-ce qu’elle représente pour toi ? En quoi le chantier estival sur ton bateau va-t-il contribuer à l’atteinte de tes objectifs ?
Arnaud Boissière : « C’est un bilan avec beaucoup d’enseignements. J’ai participé à deux courses dans lesquelles j’étais bien placé, à la bagarre avec le premiers tiers de la flotte avant des choix ou des circonstances qui rendent les résultats finaux contrastés forcément. Nous avons fait peu de modifications sur le bateau, j’ai surtout beaucoup navigué cette été, en parcourant près de 4 000 milles en entraînement avec un aller-retour en méditerranée, en faux solo avec Gérald Véniard, jusqu’à Port Camargue.
Cette escale a également été l’occasion d’établir un nouveau record de la Tartine Cup, une épreuve imaginée par Kito de Pavant, sous forme d’un run de vitesse sur une distance de 20 milles le long de la Camargue.
A plus de 21 nœuds de moyenne, cela a fait du bien à tout l’équipage de La Mie Câline.»
Bruits de ponton : Que représente pour toi la Route du Rhum et quelle est ton ambition pour cette prochaine course?
Arnaud Boissière : « Le Rhum, c’est particulier, pour tout marin. C’est une course de légende qui fait rêver, qui a lieu seulement tous les quatre ans. Nous sommes 37 en IMOCA cette année et quelle que soit la place dans cette flotte, nous allons tous être très serrés. C’est une année de transition, quasiment tous les skippers ont changé de bateaux. C’est assez excitant. C’est une Route de Rhum inédite, il n’y a jamais eu autant d’IMOCA et jamais avec un niveau aussi élevé.
Il y a 10 potentiels vainqueurs et je suis impatient et excité à la fois. L’idée et l’objectif est bien sûr avant tout de terminer, et disons dans les 15 premiers !»