Dans un contexte d’inflation et de pénurie des matières premières qui touche les industries, Bruits de Ponton a pu s’entretenir avec Michel Desjoyeaux, double vainqueur du Vendée Globe, co-fondateur de Mer Agitée depuis 1999. Il nous a partagé sa perception des impacts et de leurs conséquences sur les projets des équipes, ainsi que sa vision de l’utilisation et de la médiatisation des matériaux biosourcés dans la construction des bateaux de course.
Michel, l’année 2021 aura été particulièrement difficile pour certains constructeurs du secteur automobile, avec des coûts en hausse et des problèmes sur les chaines d’approvisionnement. Peux-tu nous expliquer l’impact que cela a pu avoir pour Mer Agitée ?
Si par le passé nous étions dépendant des stocks que l’industrie aéronautique ne consommait pas, le contexte actuel fait que nous avons pu disposer de quantités suffisantes pour nos projets. Il y a forcément une augmentation des coûts mais qui n’est pas dans le même ordre de grandeur que pour l’industrie.
Ces hausses auront donc été moins significatives sur vos projets en cours, mais au vu des annonces actuelles sur le lancement de nouveaux Imoca, les teams vont-elles devoir réviser leur budget sur l’année à venir ?
Si les équipes ont bien fait leur prévisionnel, ces variations seront bien anticipées; certaines sont récurrentes et annuelles, d’autres devraient être supérieures. L’ordre de grandeur reste minime, de 2 à 3%, l’évolution l’année prochaine passerait à 5% sur un ou deux ans, mais on espère que cela se stabilise tout de même.
Il faut toutefois savoir que le coût de la matière première dans la construction d’un Imoca ne représente qu’une partie du budget : son augmentation aura un impact global limité. Et si un nouvel Imoca est bien plus cher par rapport au précédent, c’est pour d’autres raisons.
La partie conception et fabrication est donc une part importante ?
Oui et sur ce sujet il ne faut au contraire pas s’affoler : si les budgets sont en augmentation, c’est une très bonne nouvelle, car cela veut dire que les sponsors et les partenaires nous donnent les moyens de travailler. Quand il y a 12 ou 14 bateaux en construction pour le prochain Vendée Globe, il y a une forte demande donc forcément un embouteillage au niveau des chantiers, cela impacte les budgets. Mais nous avons l’avantage de pas être comme en F1 ou à la Coupe de l’America, aujourd’hui les architectes travaillent sur plusieurs projets, en répartissant les coûts et en augmentant la qualité du produit à chaque itération, ce qui est positif.
Les budget sont plus importants qu’avant et je trouve génial que les équipes et les sponsors aient enfin les moyens de leurs ambitions, il faut rappeler que l’essentiel du budget part sur le bateau et sur les heures pour le fabriquer et le concevoir. C’est un savoir faire qui est là, autour de nous. Je suis atterré de voir que des gens puissent s’offusquer que les budgets augmentent, alors que le but est que les bateaux soient de plus en plus performants et conçus pour gagner.
Il y a toujours une place pour les projets plus modestes, la possibilité d’acheter un bateau de génération plus ancienne et de l’améliorer comme nous l’avons déjà fait, et continueront à le faire pour Groupe Setin par exemple. Il y a une cohérence entre la courbe des budgets et celle des retombées, il y a un équilibre qui est en relation avec la place visée dans une course comme le Vendée. Chaque équipe se retrouve dans ce contexte, et l’on ne peut que souhaiter que cela perdure.
Que penses-tu de l’idée d’une éventuelle limitation des budgets ?
C’est une pensée rétrograde : si tu veux te battre pour la première place, si tu veux te donner les moyens de cette position, il te faut un budget en conséquence. Il est certain que si tu veux plus d’argent, il faut aller le chercher, se battre, se mettre en avant un peu plus également. Il faut aussi rappeler que l’essentiel part dans les emplois qui sont là, autour de nous, les heures d’ingénieurs mais aussi la main d’œuvre : on ne fait pas fabriquer les coques, les cloisons, les mats à l’autre bout du monde..
On entend également parler de l’utilisation de matériaux biosourcés, recyclés, en cycle court. Cela pourrait-il influer positivement sur les budgets, que penses-tu de cette tendance qui s’amorce ?
Il faut faire attention avec cet effet green-washing : tu peux essayer d’être plus vertueux dans la construction d’un Imoca par exemple, mais tu ne peux pas te revendiquer écologique en changeant de bateau tous les quatre ans. Soit tu veux construire un bateau écologique, et le meilleur moyen c’est de garder celui que tu as déjà, soit tu veux faire de la performance, et tu acceptes que ton projet ne soit pas écologique.
Justement le meilleur moyen de lier écologie et course, c’est de ne pas exclure au prochain Vendée Globe les bateaux d’avant 2005. Il y en a qui correspondent à des équipes, adaptés à leurs ambitions, à leurs moyens, et ce n’est pas parce qu’ils sont d’avant cette période qu’ils n’ont plus lieu d’être.
Et on pourrait continuer à voir des aventures telles celle d’Alan Roura à l’époque de Superbigou.
Par exemple. Tu peux chercher à être vertueux, si tu optes pour une démarche telle que celle de Bilou qui est de démontrer qu’un bateau en fibre naturelle a la capacité de traverser l’atlantique, et dont la Route du Rhum apportera une visibilité: il reste dans une recherche de performance mais sans jouer les premières positions.
Ce qu’entreprend également Lalou Roucayrol avec Arkema est intéressant dans l’utilisation de résines biosourcées, la fabrication de pièces à partir de la matière première de ses moules une fois qu’ils ne sont plus utiles. Il sait que sur son projet il n’est pas parfait et il ne le revendique pas d’ailleurs, il reste obligé d’utiliser des résines performantes car cela reste un bateau de course. Mais son discours est clair, il n’est pas tombé dans le piège du green-washing et il faut justement être vigilant sur ce point-là.