Il a créé l’affiche de la Vendée arctique et conçu la décoration de treize bateaux de classe IMOCA, Class40, Ocean Fifty présents au départ de la dernière Route du Rhum, dont l’emblématique Charal. Bruits de Ponton a pu longuement échanger avec Nicolas Gilles, fondateur de l’agence rennaise « Désigne ».
A la place des foils, carènes, plans porteurs, il a été beaucoup plus question de forme, de typographie et de couleurs qui font partie intégrante d’un projet voile de compétition. Morceaux choisis.
Bruits de ponton : Peux-tu nous présenter ton entreprise et ton parcours ?
Nicolas Gilles : « Je suis nantais d’origine, mon père était vrp dans une imprimerie et s’occupait des peintres de la marine pour l’imprimerie moderne Vanden Brugge à Nantes et surtout il adorait aller à la Trinité sur mer. J’ai été bercé par tout cela et pour mes études, je fais les Beaux-Arts de Nantes, je présente les Concours Boulle, Arts Déco Paris, Estienne : refusé partout et finalement pris aux Beaux-Arts de Paris. Il n’y avait que des artistes, cela ne me correspondait pas, je voulais être designer. Je suis resté un peu et j’ai rencontré Bernard Rubinstein (regrettée figure du grand large, journaliste Ndlr) qui m’a présenté Gérard Petitpas (navigateur et organisateur de courses au large Ndlr) et j’ai commencé petite main au salon nautique. Gérard m’a demandé faire une couverture de livre, j’ai ensuite été illustrateur pour Géo et Ça M’intéresse.
Vers le milieu des années 80, je percevais un besoin d’apport de design dans la société pour pouvoir vendre. Je ne voulais pas faire de la publicité, mais de l‘identité visuelle qui à l’époque en faisait partie intégrante. J’ai senti que cela explosait et j’ai donc lancé mon entreprise. En effet l’agence de publicité faisait tout : des logos, des campagnes, des sites internet et tout allait devenir plus pointu. Prétendre tout faire était pour moi une hérésie, c’est d’ailleurs l’époque où des Wilmotte, des Stark ont émergé surtout via l’architecture extérieure ou d’intérieur. Le design me correspondait le plus et j’étais convaincu qu’il serait nécessaire du bateau jusqu’à l’identité visuelle des événements voile.
Je me suis d’abord installé en Free-lance au sein d’une agence spécialisé en cinéma, j’ai démarré pour Boucheron en tant qu’illustrateur et ensuite j’ai commencé à mélanger l’illustration avec le marketing. J’ai fondé Désigne, cela représente une dizaine de collaborateurs aujourd’hui, et je me suis installé à Rennes il y a 20 ans ce qui m’a permis d’avoir plus de visibilité, il y a presque trop de designer à Paris. Au départ mon activité voile représentait environ 70%, aujourd’hui c’est seulement 40%. Le reste est notamment représenté par le tennis, les 24 heures du Mans pour lesquelles je prépare l’identité visuelle du centenaire en 2023. »
Bruits de ponton : Quelle est ta conception du design, du logo ? Quelles sont les tendances ?
Nicolas Gilles : « Tout d’abord j’aurais aimé faire le premier logo qui ait existé, un des signes d’une religion mondiale, ou bien Nike ou Coca. Et Raymond Loewi qui a créé le coquillage de la marque Shell a inventé notre métier. Nike était très en avance avec cette velléité d’oublier la marque. La Société Générale, Adopte, le font également et c’est très osé car on peut vraiment se ramasser en termes d’identification et donc de chiffre d’affaires. J’aime aussi la pomme d’Apple et les multiples histoires vraies ou fausses associées à son histoire : Steve Jobs et son associé déposent la marque sans nom ni logo et percutent sur une corbeille de fruits qui se trouve là par hasard, la référence à Newton, et enfin à Turing l’un des fondateur de l’informatique, qui s’est suicidé avec une pomme empoisonnée, ce qui expliquerait pourquoi un bout manque sur le logo.
Le design doit être une valeur ajoutée ergonomique et esthétique. Starck simplifiait trop, son presse agrume était trop haut et compliqué à utiliser, mais était un superbe objet de décoration. Aujourd’hui beaucoup de futurs designers font leur classes dans les écoles de typographie d’Amsterdam qui sont excellentes et je pense que le dessin de la lettre, c’est la base.«
« On assiste à un retour des typographies filaires, retour années 70. Pour qu’elle ne fasse pas année 70, nous l’avons combinée avec des signaux actuels pour le village et l’affiche de la Vendée Arctique. Ainsi nous avons ajouté des triangles qui cassent les codes. La manière de combiner la typographie avec les formes et les couleurs ramène des typo anciennes des années 20, 30, 40, 50 à notre époque actuelles et hormis le designer, les experts, personne ne réalise le caractère historique et daté de la typographie initiale. Il est vrai qu’à l’époque on maîtrisait moins bien les formes et les Pantone. En fait, pour définir un évènement type Vendée Globe, Vendée Arctique, Le Mans, un ensemble d’outils graphique visuels peuvent être mis en place pour définir l’identité visuelle et pas seulement une typographie.
Nous concevons donc des logos, nous le dessinons et nous créons la typo associée. En revanche la prise de langage autour de la marque doit reposer sur une autre typo selon moi. Sinon on risque de diluer la puissance du logo. Avant la charte graphique était verrouillée, aujourd’hui même pour une grosse marque elle peut vivre. On peut envisager de changer une couleur de logo par exemple suivant les saisons, les supports de communication.. Avant c’était militaire, il était interdit de faire des modifications. Après si la stratégie de communication de marque et l’équipe associée ne changent pas, il est possible de juste faire évoluer le logo à la marge pour éviter qu’il ne devienne obsolète graphiquement. Un logo réussi vit dix ans, s’il est très réussi c’est quinze. Cependant en cas de rupture, par exemple un changement d’actionnaire, il faut changer entièrement l’identité visuelle. Concernant la taille du logo, on pense souvent que plus c’est gros mieux cela se voit, et les code du luxe sont à l’ inverse : plus c’est petit plus on a envie d’aller le voir . Un compromis est à trouver entre l’idée de teasing ou le fait de le voir tout de suite.
Enfin je ne parlerai pas de tendance car c’est le talent des agences d’assembler tout cela. Nous nous auto influençons les uns les autres, cela crée des bras de levier visuels vers nos cibles et si cela s’installe nous allons récupérer certains signaux, être le premier n’est pas forcément bon. Force est de constater qu’aujourd’hui nous baignons dans des typo ajourées et coté forme, le triangle prend la suite de l’hexagone. Le triangle est une forme dynamique selon sa position soit très agressive vers l’avant pour piquer et ouvrir comme une étrave de bateau, soit vers l’arrière avec les points de fuite qui induisent de la vitesse. Le triangle est associé actuellement à l’univers de la haute technologie et de l’innovation en 3D avec des facettes triangulaires. Cela représente la technique et la vitesse, et correspond bien avec l’univers des sports mécanique que nous travaillons pour Le Mans et aussi pour ce sport mécanique qu’est la voile avec la performance.«
Bruits de Pontons : Quelles sont les couleurs que tu préfères travailler, as-tu des contraintes ? Quelle est ta position sur le bleu qui peut poser des problèmes lors de recherches de bateau en haute mer ?
Nicolas Gilles : « Le bleu se voit en mer c’est un faux débat, tout dépend du moment et il existe des bleus hyper voyants type roi clair. Le noir est compliqué car il peut provoquer des montées de températures problématiques pour les bateaux qui sont collés polymérisés. Hugo Boss avait inventé une peinture noire repoussant le rayonnement. Il faut éviter le noir sur certains endroits structurels et aussi éviter de faire un mât noir pour pouvoir y monter en plein soleil. En dehors de cela il n’y aucune mauvaise couleur.
Si la marque n’a pas de couleur phare, cela me laisse plus de marge de manœuvre. Par exemple pour Hublot ,j’avais proposé du turquoise et finalement nous avons identifié du jaune sur décision de la marque. Il fallait faire oublier le rose de l’ancien sponsor Hugo Boss qui pourtant avait utilisé du jaune sur les safrans de leur avant-dernier bateau de la route du Rhum 2018. Leur jaune était citron, plus acidulé. On peut citer Bureau Vallée, qui est sur un jaune qui tire plutôt vers le vert un peu moins chaleureux. Enfin le jaune de l’Occitane était plus orangé, assez proche de celui de Hublot. »
« L’idée c’est vraiment de tenir le jaune avec la pointe de chaleur. Plus on se rapproche du rouge plus on gagne en chaleur mais en même temps on s’éloigne de la couleur primaire, on perd du jaune et cela fait basculer sur les codes du rouge : de l’interdiction, de l’attention. Le rouge, c’est le sang, la vie.
Finalement je trouve plus de subtilité dans les jaune et les rouges, ensuite on associe une couleur avec les sens : ainsi le jaune citron est associé avec l’acidité par notre goût alors que le jaune orangé sera plus sucré. Le blanc est très lumineux, il apporte de la neutralité, ensuite il faut monter dans les couleurs avec les mêmes écarts possibles dans les rouges que dans les jaunes. Certains codes utilisés par le design ont phagocyté certaines couleurs qui sont devenues vraiment associées et connotées à des secteurs d’activité précis. J’associe les bleus et les violets au code de la santé et sauf à travailler avec une marque spécifique du domaine, elles ne sont pas mes préférées. Enfin, même avec le meilleur choix de couleur, il faut un écrin et le noir est idéal pour mettre en valeur une palette de couleur. »
Bruits de Pontons : Quel est ta démarche ? comment a émergé la conception du nouveau Charal ?
Nicolas Gilles : « Je suis un ambassadeur des signaux et de la couleur. J’essaye de faire le lien entre le skipper, l’architecte avec la forme du bateau, le sponsor et mes intuitions pour sortir un projet en accord entre nous quatre. Je travaille beaucoup sur Moodboard (planche d’ambiance graphique Ndlr), je prends plein de trucs partout, je prends le logo existant de la marque et je le triture dans tous les sens. Je réfléchi à quel signal de modernité je pourrais envoyer si se projeter dans l’avenir fait partie du brief, la performance recherchée, quel sentiment est attaché à la couleur. Je reprends aussi les codes d’autres univers, par exemple la performance, c’est la Formule 1, c’est Mercedes, c’est le métal et cela va faire écho sur ma conception pour le nouvel IMOCA de Charal qui vend ses produits en grande distribution avec des blisters métal.
Ma démarche est de se dire : que vais-je amener qui portera dans le discours, qui va mettre tout le monde d’accord et portera le projet de manière un peu décalé ? Ce processus itératif peut être long, toujours sur Charal, je n’ai jamais travaillé aussi longtemps sur un projet.«
« Le sponsor avait adoré le premier design et m’a reconduit pour le deuxième bateau sans faire d’appel d’offre ce qui était un honneur. Nous pouvions juste nous contenter d’adapter la nouvelle décoration à la nouvelle forme plus ronde du bateau sur l’avant avec une simple optimisation. La marque Charal est premium, puissante avec des beaux signaux de départ, il fallait s’autoriser à faire autre chose : Pop art avec retravail du taureau façon pointilliste par exemple.
En parallèle comme je me suis beaucoup imprégné de l’univers automobile grâce à mon travail sur le Mans, je voulais apporter une expression de vitesse et être novateur. Trois projets ont été présentés finalement : une version « deux » issue du premier bateau, une version Pop art disruptive et une version tournée vers la performance qui a été retenue comme je le souhaitais. Les choses évoluent vite, ce qui était très bien il y trois ans auraient été juste bien maintenant, je suis content d’avoir trouvé le remplaçant. Quand je découvre les plans d’un bateau, j’ai tout de suite une sensation.
Pour Charal, j’évalue l’objet c’était immédiat c’est un rorqual. Et c’est le début de l’histoire. A la fin la décoration finale du bateau vient par-dessus le redan vers le « bout dehors » comme sur ma première esquisse. »
Bruits de pontons Quels sont les moyens et les coûts d’une décoration d’un bateau de compétition ?
Nicolas Gilles : « A l’ agence, les moyens mis en œuvre sont corrélés au budget avec deux ou trois collaborateurs, l’usage ou non d’outils 3D en fonction du budget, de la puissance de la marque et de l’investissement financier. Après notre enveloppe de conception est faible versus la décoration effective de la coque, du pont et des voiles avec par exemple la première base peinture, les stickers, les vernis de couverture et encore moins vis-à-vis d’un budget global de bateau neuf type IMOCA de plusieurs millions d’euros.
Cela nous permet de sortir une décoration de qualité qui impacte finalement peu le business plan de l’armateur. »
Glossaire sélectif (source Larousse ©)
- Couleur : Sensation résultant de l’impression produite sur l’œil par une lumière émise par une source et reçue directement (couleur d’une source : flammes, etc.) ou après avoir interagi avec un corps non lumineux (couleur d’un corps).
- Design : Discipline visant à une harmonisation de l’environnement humain, depuis la conception des objets usuels jusqu’à l’urbanisme
- Forme : Manière dont quelque chose se matérialise, est matérialisé ; aspect, état sous lequel il se présente
- Graphisme : Manière de tracer un trait, de dessiner
- Logotype / Logo : Représentation graphique d’une marque commerciale, du sigle d’un organisme, d’un produit. (Abréviation usuelle : logo.)
- Typographie : Quel que soit le procédé d’impression, conception graphique d’un ouvrage en choisissant les caractères, les corps, la présentation, en déterminant la dimension du texte, des illustrations (et leur situation dans le texte).
- Pantone : Nom américain d’un procédé de séparation des couleurs d’imprimerie conçu par la société éponyme permettant d’accéder à une large gamme de couleurs pures
Pour aller plus loin :
Graphisme & Typographie Le guide par Michel Wlassikoff (Éditions Flammarion)
et aussi www.etapes.com
crédit photo
IMOCA
Charal / Jérémie Beyou © Eloi Stichelbaut
Hublot / Alan Roura © Jean-Louis Carli / Aléa
MACSF / Isabelle Joschke © Sam Cade
La Mie Câline – Artipôle / Arnaud Boissières © Christophe Favreau
CLASS 40
Lamotte Immobilier – Module Création / Luke Berry © Pierre Bouras
Serenis consulting / Jean Galfione © Thomas Deregnieaux
Simon Koster – Banque du Léman © Jean-Marie Liot
La Boulangère / Amélie Grassi © PolaRYSE
Randstad – Ausy Martin Louchart © Christophe Breschi
Viranga / Emmanuel Hamez © Benjamin Sellier
OCEAN FIFTY
Groupe GCA / Gilles Lamiré © fafa.pics
Koesio / Erwan Le Roux © Jean-Marie Liot
Les Petites Doudous / Armel tripon © Pierre Bourasas